Le croisement des savoirs 

La démarche du CROISEMENT DES SAVOIRS et des pratiques© est une dynamique qui crée les conditions pour que le savoir du vécu détenu par les personnes qui connaissent la pauvreté, et qui sont membres d’une association militante ou citoyenne puisse dialoguer à égalité avec les savoirs scientifiques et professionnels. La confrontation de ces trois savoirs différents et complémentaires permet la production de connaissance plus juste, de méthodes d’actions contre la pauvreté plus efficaces. La finalité du croisement est d’améliorer durablement les conditions de vie des personnes en situation de grande pauvreté.

Le CROISEMENT DES SAVOIRS, mis en œuvre dans de nombreux pays, s’inscrit dans des domaines très divers : santé, travail social, éducation, sciences humaines et sociales, etc.

La démarche

La démarche, co-construite dans le cadre d’un partenariat entre ATD Quart Monde, des institutions universitaires et professionnelles est fondée sur une méthodologie rigoureuse. Elle se développe depuis près d’une vingtaine d’années.  Elle est présentée dans le livreLe croisement des savoirs et des pratiques – Quand des personnes en situation de pauvreté, des universitaires et des professionnels pensent et se forment ensemble (Éditions de l’Atelier, Éditions Quart Monde, réédition 2008) et a fait l’objet de nombreux articles paru dans des revues spécialisées et scientifiques. La Charte du Croisement des savoirs explicite les enjeux politiques, les principes éthiques et pédagogiques.

« La démarche de croisement des savoirs et des pratiques entre personnes en situation de pauvreté, universitaires et praticiens repose sur une conviction à la fois éthique et épistémologique : toute personne détient potentiellement les moyens de comprendre et d’interpréter sa propre situation. C’est l’analyse du vécu des personnes en situation de pauvreté et d’exclusion qui est le point de départ d’une construction de savoirs croisés. Il s’agit en fait d’une fécondation réciproque, chacun des partenaires de l’échange apportant à l’autre les éléments d’une production et d’une transformation de son propre savoir. Il ne s’agit donc pas de plaider pour un savoir unique et uniforme, sorte de synthèse des différents types de savoirs. Chacun existe comme acteur et auteur à part entière de sa propre pensée et de son action, comme détenteur d’un savoir reconnu par les autres acteurs. Par le croisement des savoirs et des pratiques, l’effort de construction par chacun de son propre savoir et la coconstruction d’un produit commun sont associés. Il s’agit de déconstruire pour reconstruire, de se laisser interpeller et d’accepter le déplacement de son point de vue. »


Croisement des savoirs

La mise en œuvre du croisement des savoirs et des pratiques© 

Pour permettre la mise en œuvre du CROISEMENT DES SAVOIRS et des pratiques© il faut la présence effective des personnes en situation de pauvreté tout au long du processus de croisement des savoirs. Elles sont impliquées collectivement et reconnues comme détentrices d’un savoir lié à leurs expériences de vie. En aucun cas, d’autres acteurs ne peuvent se substituer à elles, parler en leur nom, à leur place, en s’appuyant sur la connaissance ou la proximité qu’ils pourraient avoir du monde de la misère.

Conditions de l’autonomie des savoirs

AUTONOMIE et RÉCIPROCITÉ ne sont habituellement pas des acquis dans la pratique des relations entre « universitaires et professionnels » et personnes en situation de pauvreté. Pour garantir cette autonomie, sont mis en place des « groupes de pairs », au sein desquels les participants construisent leur pensée et contribution. La pédagogie repose sur une alternance de travaux en groupes de pairs et en plénières. 

  • Les groupes de travail doivent être composés de telle sorte que les personnes en situation de pauvreté n’aient pas de lien de dépendance ou de proximité avec les acteurs professionnels. Ceci, afin de préserver la liberté de réflexion et de parole de chacun.
  • Que chaque acteur ait en référence son propre groupe d’appartenance ou de pairs (acteurs du monde de la pauvreté, acteurs associatifs, acteurs professionnels, acteurs universitaires...). Au sein de ces groupes, chacun a une sécurité, une liberté, un temps pour bâtir sa propre pensée avant d’en entreprendre le croisement. D’autre part, la compréhension et la réception du savoir de l’autre nécessitent maturation et explicitation. Ces espaces et ces temps en groupes d’acteurs permettent aux participants de s’approprier les questions, de formuler leurs propres interrogations, de construire leur propre analyse. 

Le CROISEMENT DES SAVOIRS et des pratiques n’est possible que si le sentiment de SÉCURITÉ et de CONFIANCE de chacun vis-à-vis de ses partenaires, ainsi que du cadre instauré est assuré.

  • Une forme de CONTRAT qui fixe les règles, la SÉCURITÉ et la CONFIDENTIALITÉ des paroles et des écrits produits (en particulier, tout ce que disent les personnes en situation de pauvreté est le plus souvent le fruit d’une expérience longue de souffrances et d’efforts, et la fragilité des personnes reste grande. Cette fragilité doit être protégée. Cela s’applique aussi à ce que disent les « universitaires ou professionnels », tenus aux règles du secret professionnel).
  • Établir le CADRE ÉTHIQUE qui comprend un certain nombre de valeurs liées au dialogue entre les personnes : écoute active, respect de la parole de l’autre, disponibilité à adopter une posture critique vis-à-vis de son propre savoir, conviction que tout savoir est toujours en construction
Texte écrit par : Atd quart monde 

L'inégalité des positions

L'inégalité des positions est bien présente dans le processus de CROISEMENT DES SAVOIRS et des pratiques. Ce serait un piège de faire comme si tous les participants étaient d’emblée en situation d’égalité alors que ce n’est pas le cas. RENDRE L'ÉCHANGE POSSIBLE c’est donc créer les conditions d’une parité dans l’échange. C’est le rôle d’une équipe pédagogique ou équipe d’animateurs. Elle doit être constituée de membres connaissant, pour les avoir côtoyées de longue date, les personnes en situation de pauvreté, leurs difficultés, leurs ressources, et de membres du monde des « universitaires ou professionnels »

Vis-à-vis des personnes en situation de pauvreté 

Le rôle des animateurs est d’aider les personnes en situation de pauvreté à s’exprimer avec leurs propres termes sans jamais se substituer à elles, sans leur ‘souffler’ ce qu’elles tentent de dire. Il s’agit de créer les conditions qui leur permettent de consolider elles-mêmes leur savoir : relire leur expérience de vie en prenant du recul, la confronter à d’autres pour en tirer des enseignements généralisables, les soutenir dans la démarche de compréhension des autres acteurs. C’est également les accompagner en amont et en aval des rencontres pour qu’elles restent en lien avec leur milieu de vie.

Vis-à-vis des ‘universitaires ou professionnels’

Les 'Universitaires ou professionnels’ rencontrent eux aussi des difficultés quant à l’expression orale et écrite. Habitués et formés à travailler et communiquer entre pairs, ils ont tendance à utiliser des formulations abstraites compréhensibles uniquement par des initiés. Le rôle des animateurs est de les aider à rendre leur pensée communicable et de les accompagner dans la démarche de compréhension des apports des personnes en situation de pauvreté.

Le rôle des animateurs est aussi de faire comprendre aux universitaires ou professionnels le bien-fondé des RYTHMES et du TEMPS nécessaire pour une démarche de croisement des savoirs et des pratiques© (on ne peut pas ‘brûler’ les étapes).

La méthode du CROISEMENT DES SAVOIRS et des pratiques© a été utilisée dans le cadre du projet de recherche ÉQUISANTÉ, (PDF)  dont le rapport est sorti en février 2015. Il a réuni des chercheurs académiques, des professionnels de la santé et des acteurs du milieu communautaire de lutte contre l’exclusion. Il a eu pour but d’établir un dialogue entre des personnes en situation de pauvreté et des équipes de soins afin d’améliorer la qualité et l’équité des soins pour les personnes en situation de pauvreté.



Les objectifs de recherche

  1. Identifier les barrières  entre les personnes en situation de pauvreté et les équipes de soins au Québec.
  2. Identifier les moyens et actions nécessaires pour favoriser le déploiement de pratiques professionnelles orientées vers la compétence sociale au sein d'une clinique qui offre des soins primaires.
  3. Identifier les facteurs favorisant l’implication des personnes en situation de pauvreté dans le  processus de développement de la compétence sociale.

Au niveau international, ATD Quart Monde a mené un projet de recherche International sur les dimensions de la pauvreté

DÉFIS ET ENJEUX ÉTHIQUES

LE CROISEMENT DES SAVOIRS, comme la participation n’est pas un but en soi. La finalité est l’éradication de la pauvreté, et chaque temps de croisement des savoirs a un objectif qui contribue a cette finalité, qu’il est nécessaire d’expliciter à l’ensemble des acteurs participant à la démarche. Il faut comme pré-requis ; 

  • Avoir conscience d’un changement nécessaire : La misère n’est pas une fatalité, ne pas être satisfait des réalités sociales, économiques ou culturelles… entraîne une volonté de changement.
  • Considérer chacun comme détenteur de savoir : Les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion sociale n’ont pas seulement des manques et des besoins à satisfaire, elles ont aussi des savoirs à apporter. Ce savoir d’expérience, quand il est croisé avec d’autres savoirs, révèle leur capacité de distance et de réflexion. Ce croisement produit des connaissances plus complètes et plus fidèles à la réalité.
  • Ne pas être seul : C’est l’appartenance à un groupe social, professionnel qui consolide le savoir dont chacun est porteur. Les personnes en situation de pauvreté ne doivent pas rester isolées, elles doivent vivre l’association avec d’autres personnes ayant les même conditions de vie et avoir des espaces de réflexion, d’expression et de dialogue.
  • Se placer ensemble dans une position de recherche : Il est nécessaire que chaque participant soit dans une attitude de co-chercheur, co-formateur, co-acteur pour identifier des questions, les mettre en problématiques et rechercher des compréhensions communes et des pistes de changement, c’est à dire un partage de la maîtrise de la recherche.